Le Planning Familial au Luxembourg a été créé en 1965 grâce aux efforts de militantes et militants engagé.es dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive.
Il a été fondé par un groupe de personnes déterminées à promouvoir l’accès à l’information, aux soins de santé et aux services liés à la sexualité, et à défendre les droits reproductifs des individus.
1. Le contexte Le Planning Familial s’est pratiqué au Luxembourg longtemps avant la création du mouvement qui porte ce nom. En effet, et nous le savons grâce aux sermons de l’époque consignés à la Bibliothèque nationale, les couples, dès le début de l’industrialisation dans notre pays, vers 1850, pratiquaient la régulation des naissances. Les méthodes pratiquées ne furent pas toujours très efficaces et quelquefois franchement barbares: coït interrompu, emploi du préservatif masculin dans les villes, avortements clandestins, exposition d’enfants et, si rien n’y faisait, infanticide. Le Département des Forêts tel qu’il s’appelait à l’époque, fut même connu pour ses infanticides. Le problème n’était donc pas nouveau. Une prise de conscience de ces problèmes qui plaçaient souvent les couples dans des situations dramatiques s’opéra d’abord en Hollande dès 1898, en Allemagne dès 1930. En France, la loi de 1920, qui avait pour but d’inciter à la natalité après les pertes en vies humaines à la suite de la Première Guerre mondiale, interdisait à la fois l’interruption de grossesse et la contraception. Les pionniers du Mouvement Français pour le Planning Familial durent importer clandestinement à partir de l’Angleterre les diaphragmes, seuls moyens contraceptifs féminins à l’époque. Mais déjà en 1961, le Grand Orient de France, dans une émission radiodiffusée sur la chaîne France 3 et ayant pour thème le planning familial, cita le docteur Flournoy, président de la société suisse de psychiatrie et professeur à la Faculté de Médecine de Genève qui dit: « Un peuple qui a besoin de menaces pénales pour soutenir sa natalité et maintenir haut la morale n’est ni tout à fait sain, ni tout à fait majeur. » Le terme de parenté responsable indique dès cette époque la prise de conscience de la responsabilité première et inaliénable des parents, premiers concernés par le don de la vie. D’ailleurs, à la Conférence Internationale de Téhéran en 1968, la planification familiale fut déclarée comme l’un des droits humains fondamentaux au sein des Droits de l’Homme. La notion de bonheur et de qualité de la vie tant pour le couple que pour les enfants à naître se retrouve dans les appellations de différentes associations européennes de l’époque: la Maternité heureuse en France, la Famille heureuse en Belgique et au Luxembourg. 2. Préhistoire A Luxembourg, dès les années 60, dans les consultations médico-pédagogiques, les parents faisaient souvent état des difficultés qu’ils rencontraient avec les enfants non désirés. Au Colloque organisé à Bruxelles du 7 au 13 avril 1963 par la Ligue Internationale de l’Enseignement, de l’Education et de la Culture populaire sur le thème « Les problèmes de la famille dans notre société occidentale et plus particulièrement en Europe », une délégation luxembourgeoise fit la connaissance du docteur Lagroua Weill-Hallé, présidente fondatrice du Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF), fit un exposé sur le « planning familial ». Des contacts se nouèrent avec le MFPF. Des initiatives des centres culturels et d’éducation populaire de Luxembourg et de Bonnevoie avec des contacts en direction des associations regroupant des femmes et des syndicats ouvriers, débouchèrent sur une première conférence faite par le docteur Henri Clees, le 19 janvier 1965, au Casino syndical de Bonnevoie sur le thème « Harmonische Ehe und Familienplanung ». La conférence est répétée à la Maison du Peuple d’Esch/Alzette début février sous l’égide du Foyer de la Femme. Un certain nombre de réunions aboutissent à l’élaboration d’un projet de statuts. La première manifestation publique du Mouvement Luxembourgeois pour le Planning Familial eut lieu le 29 avril 1965 au Foyer Européen à Luxembourg. Ce fut une table-ronde sur l’éducation sexuelle, la régulation des naissances, l’harmonie et la santé des foyers avec la participation des personnes suivantes: Docteur Robert Angel, Docteur Henri Clees, Kina Fayot, René Gregorius, Nicolas Klecker, Maître Robert Krieps et Jacques F. Poos. L’assemblée générale constitutive eut lieu le 1er juin 1965 et les statuts furent adoptés. 3. Constitution du premier C.A Président : Docteur Henri Clees Vice-président.e.s : Madame Lucienne Tholl et Monsieur René Gregorius Secrétaire : Madame Kina Fayot Trésorière : Madame Andrée Schneider Membres : Madame Yvonne Frisch, Monsieur Willy Dondelinger, Madame Liliane Thorn-Petit, Monsieur Nicolas Klecker, Docteur Robert Angel, Maître Robert Krieps, Monsieur René Bleser, Monsieur Jacques F. Poos, Monsieur Jos. Daubenfeld, Docteur J.-P. Pundel. Le 10 novembre 1965, le Docteur Robert Angel tint une conférence au Casino Syndical de Bonnevoie sur le thème: « Le planning familial et la médecine préventive ». Le 5 février 1966, le docteur Henri Clees organisa une conférence à Grevenmacher sur le thème: « Das grosse Problem der Geburtenregelung ». On y nota une assistance peu nombreuse. En juin 1966 eut lieu à Copenhague le Congrès mondial de l’IPPF (International Planned Parenthood Federation). Le Luxembourg y fut représenté par le docteur Molitor-Peffer et le Luxembourg devint membre observateur de la Fédération Internationale pour le Planning Familial. Fin 1966, une délégation du Mouvement Luxembourgeois pour le Planning Familial visita le Centre de la rue de la Pacification à Bruxelles. Ce furent le docteur Henri Clees, Madame Kina Fayot et Monsieur René Gregorius. En septembre 1966 et en février 1967, le docteur Molitor-Peffer participa aux cours de recyclage à la consultation de planning familial organisés à l’ULB par le service du professeur Hubinont. Début 1967, Madame Weill, responsable du Centre de Planning Familial de Bruxelles, parla à Luxembourg. Il y eut peu d’auditeurs. A son Assemblée générale du 11 janvier 1967, le Mouvement Luxembourgeois pour le Planning Familial décida de créer un Centre de Planning Familial à Luxembourg, identique à celui de Bruxelles. Il y eut dissension au Conseil d’administration au sujet de la création d’un centre de Planning Familial, le Docteur Clees préconisant un centre d’information où ne devraient avoir lieu ni examens médicaux, ni prescriptions. Il donna sa démission et fut suivi par Madame Tholl. Dès lors, Monsieur René Gregorius assuma la présidence jusqu’en 1981 où le docteur Molitor-Peffer lui succéda. Le 27 mai 1967, le premier Centre de Planning Familial ouvrit ses portes au n° 3 de l’avenue Pescatore. Assistèrent à l’ouverture: Mrs Joan Rettie – secrétaire générale de l’IPPF, le professeur Hubinot et Mary Calderone-Steichen, fille du célèbre photographe luxembourgeois Edward Steichen (The Family of Man) et pionnière du Planning Familial aux Etats-Unis. L’IPPF alloua 80 000 francs luxembourgeois comme aide de départ au jeune Mouvement et la commune de Luxembourg assuma la moitié du loyer. Le reste des sommes nécessaires proviendrait des cotisations des membres. Tout le personnel – assistante sociale, secrétaire et médecin – assura un travail bénévole. 4. Problèmes de démarrage Dès avant l’ouverture du Centre, le Collège Médical s’opposa à la présence d’un médecin qui examinerait les clientes et prescrirait des contraceptifs arguant qu’il s’agissait de concurrence déloyale et que c’était contraire à la déontologie. Alerté davantage encore par la société de gynécologie, le médecin du Centre fut convoqué devant le Collège Médical. Connaissant leur hostilité, celui-ci refusa, ce qui fut considéré comme une faute disciplinaire. Une série d’avertissements de la part du Conseil de Discipline puis du Conseil Supérieur de Discipline s’ensuivirent. La procédure dura 4 ans et la cause fut même plaidée devant la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg. En 1973, l’opinion publique ayant pris fait et cause pour le Planning Familial, le médecin se présenta devant le Collège Médical qui l’assura de sa bienveillance envers ses activités. Des cas analogues eurent lieu en France et en Allemagne. Ainsi le docteur Fabre de Grenoble, fondateur du planning local, dut même subir une suspension temporaire à cause de son engagement pour le planning. Le nombre total des clients fut de 23 la première année. A part le « Tageblatt », aucun journal n’ouvrit ses colonnes au Planning. Mais à la radio luxembourgeoise, Monsieur Nic. Weber nous soutint dès le début, et Madame Aline Putz nous prêta sa tribune féminine les samedis après-midi. Les idées que se faisait le public de nos activités furent des plus variées. Ainsi, un jour, des parents vinrent nous trouver pour savoir si nous n’aurions pas sous la main un fonctionnaire d’Etat, début trentaine, qui épouserait leur fille très timide qui attendait sagement dans la voiture… Il n’y avait pas encore d’agence matrimoniale à cette époque à Luxembourg. Un autre jour, une femme refusa de se faire opérer de sa hernie ombilicale parce que, disait-elle, elle n’aurait plus d’enfants. Dans les années qui suivirent, le nombre de clients augmenta rapidement, le recrutement s’opérant surtout, comme aujourd’hui encore, par le bouche à oreille. Les adolescents furent amenés au Planning pour des séances d’information sexuelle. Le Kannerschlass de Sassenheim fut l’un des premiers. Toutefois, il nous fut notifié qu’on pouvait tout leur expliquer, à condition de leur dire après qu’il ne fallait pas le faire. Rendez-vous fut pris également par le Centre du Rham. Mais au dernier moment, il nous fut dit qu’on avait changé d’avis et que l’aumônier se chargerait de la question. Peu à peu, les lycées nous ouvrirent leurs portes, soit dans le cadre des cours de biologie, soit dans les cours de religion ou de morale laïque. Madame Frieden, ministre de la Famille nous soutenait et fut l’un des premiers ministres à nous accorder une subvention solide de 100 000 francs luxembourgeois. Le Ministre de l’Education nationale qui fut Monsieur Jean Dupong, nous assura de son soutien moral et nous alloua 20 000 francs luxembourgeois. Le Fonds de Secours Grande-Duchesse Charlotte nous subventionnait régulièrement, de même que la Commune de Luxembourg, qui, à part la moitié du loyer, nous versait des subsides extraordinaires chaque année. La méfiance et l’hostilité du corps médical, en particulier des gynécologues dans leur majorité, persista durant de longues années, mais en 1974, le rapport d’activité du Planning fut publié pour la première fois dans « Le Corps Médical », organe de presse de l’Association des Médecins. En 1972, le médecin du Planning fut nommé officiellement délégué du Luxembourg à une conférence internationale de l’OMS sur le rôle des services de santé maternelle et Infantile dans la planification familiale qui se tint à Ljubljana en Yougoslavie. 5. Travaux de recherches Nombreuses furent les recherches cliniques menées au Centre de Luxembourg, soit seul, soit en collaboration avec d’autres institutions telles que l’INSERM à Paris, le département de gynécologie et d’obstétrique de l’ULB ou encore à la demande de l’Organisation Mondiale de la Santé à Genève. Plusieurs études furent publiées dans le Bulletin de la Société des Sciences Médicales au Grand-Duché, soit dans Gynécologie Obstétrique qui est le bulletin de la Société française de Gynécologie et d’Obstétrique, et plus souvent dans Sexualmedizin, édité par le Medical Tribune à Wiesbaden. Ce dernier choisit souvent nos articles comme éditoriaux. En 1975, un symposium international sur la gynécologie psychosomatique et la sexologie eut lieu à Luxembourg. La société luxembourgeoise de Gynécologie et d’Obstétrique demanda au médecin du Planning de traiter de « La sexualité de l’adolescente ». Ce texte traduit en allemand fut publié lui aussi dans Sexualmedizin sous le titre « Halb Kind, halb Frau ». 6. Relations internationales Dès 1968, le médecin du Centre de Luxembourg fut médecin prescripteur du Planning Familial Français. Beaucoup de médecins français étaient hostiles à la contraception à cette époque et on nous demanda d’assumer cette tâche pour les départements limitrophes de la Moselle et de la Meuse. Au début, les réunions annuelles du Mouvement Français pour le Planning Familial voyaient quelques dizaines de médecins et se passaient plus ou moins clandestinement. Mais même encore en 1974, lors du Congrès International de Sexologie à Paris, les CRS contrôlaient l’entrée de la Faculté de Pharmacie, siège du congrès. Actuellement, aux journées d’étude sur la contraception, il y a des milliers de médecins chaque année, et les patrons les plus prestigieux de France traitent la question. Depuis sa fondation, le Planning Familial Luxembourgeois est membre de l’IFRES (Institut pour la formation, la recherche et l’étude sur la sexualité) ainsi que de la Société Française de Sexologie Clinique et de la Deutsche Gesellschaft für Sexualforschung. De plus, il y a d’excellentes relations avec la Société Suisse pour le Planning Familial. Les relations internationales sont très importantes parce qu’elles permettent de comparer les expériences scientifiques et pratiques entre pays. L’IPPF réunit chaque année les délégations des associations membres et discute des sujets variés dans ses comités médical et pédagogique. En 1971, le meeting annuel se passa dans la belle ville de Beyrouth, encore intacte à ce moment-là, et c’est là que le Mouvement Luxembourgeois pour le Planning Familial obtint sa « full membership » de la Fédération. 7. Travaux de recyclage et de formation La formation continue est indispensable aux médecins du Planning. Aussi suivons-nous depuis 1974 des cours à l’université de Francfort, depuis 1981 à Heidelberg et pendant 18 mois à l’université de Düsseldorf. Les connaissances acquises à l’étranger et les expériences personnelles en matière de contraception et de sexologie médicale sont régulièrement partagées avec les médecins luxembourgeois qui le demandent, qu’il s’agisse de médecins généralistes ou de psychiatres. Depuis 1975, les médecins du Planning assument l’instruction sanitaire et sexuelle des recrues de l’armée luxembourgeoise au Härebierg. Le but consiste à les informer sur les maladies à transmission sexuelle et leur prévention, et les cours comportent aussi des informations générales sur la sexualité humaine. Depuis que le Conseil de l’Europe a retenu en 1978 dans la formation des sages-femmes les notions de planification familiale et de sexologie, les médecins du Planning Familial sont chargés d’enseigner ces matières aux élèves sages-femmes de l’Ecole Paramédicale de l’Etat. 8. Elargissement de l’équipe Dès 1973, Madame Gaby Delvaux vint se joindre à nous pour assumer la tâche de conseillère conjugale, permettant ainsi d’étendre nos activités aux couples souffrant de conflits conjugaux. Notre secrétaire Tilly Thimmesch avait entamé depuis 3 ans une formation d’animatrice et de conseillère conjugale à Bruxelles. Elle se chargeait dorénavant des séances d’éducation sexuelle pour les classes qui venaient au Planning. En 1978, un psychologue analyste se joignit à nous, ce qui permit d’étendre nos services aux problèmes psychologiques si souvent à la base de difficultés relationnelles et sexuelles. Dès 1973, d’autres médecins vinrent travailler avec nous. Mais tout le monde travaillait encore bénévolement. Très à l’étroit dans le petit appartement de la rue Pescatore, nous avons déménagé en 1977 dans 2 appartements du 2e étage au n° 18-20 de la rue Glesener. L’un des appartements sert aux consultations médicales, l’autre aux activités du conseil conjugal et psychologique. Une salle de cours permet de recevoir les élèves, et une bibliothèque est à la disposition du public pour le prêt ou la vente de livres au prix d’achat. La liste est complétée régulièrement. 9. Reconnaissance officielle du Planning Familial Avec l’avènement d’un gouvernement libéral-socialiste en 1974, le Planning Familial a enfin été reconnu officiellement. Désormais, les médecins sont payés sur vacations, de même que la conseillère conjugale et le psychologue. Les salaires du personnel ainsi que le loyer et les charges sont pris en compte par le ministère de la Famille. Le 15 novembre 1978, la loi sur l’information sexuelle, la prévention de l’avortement clandestin et la réglementation de l’interruption volontaire de grossesse fut votée. Dans le cadre de cette loi, une convention fut signée entre le Gouvernement et le Mouvement. Désormais, les crédits nécessaires étaient garantis à nos centres et à nos activités. Cette loi prévoyait également l’élaboration d’un dossier guide sur l’information sexuelle et la contraception, la maternité, la médecine préventive et les questions juridiques relatives au couple et à la femme enceinte. Ce fut la fameuse brochure « Aimer » dont nous assurions la majorité des textes. On se rappellera les polémiques suscitées à l’époque par cette brochure ! 10. Extension des centres La loi du 15 novembre 1978 envisagea aussi la création ou la subvention de centres régionaux dans tout le pays pour couvrir le plus largement possible les besoins de la population. Fin 1976, un centre de Planning fut inauguré à Esch-sur-Alzette. En 1979, un autre centre fut ouvert à Ettelbruck et, sur initiative des femmes socialistes, des femmes libérales et des mouvements de jeunes, une permanence s’ouvrit également à Differdange au Centre médico-social. |